
Voyage en Mayenne
Voyager en bateau sur la Mayenne, de plus à la godille exclusivement, ne pouvait venir à l'idée que d'un ancien scout marin né au Mans. L'idée a mis un an à germer et je fus déléguée pour aller visiter les lieux avec mon vélo ...
2021VOYAGE À LA GODILLE
Il me fallut deux tentatives : je fus mise en déroute la première fois par la tempête Alex et l'expédition se termina par la visite de Vitré et son château. La deuxième tentative fut presque la bonne. Mais je n'atteignis jamais Mayenne ni même Laval pour cause de crevaison en plein covid. Mais j'eus le temps d'avoir une haute idée de cette rivière aussi majestueuse qu'un fleuve et parfaitement mise en valeur. Les écluses étaient ouvertes et à disposition des navigateurs.




Finalement, nous avons mis à l'eau notre petit moorskoul à Menil où un terrain de camping était disposé à garder la remorque et la voiture. C'était le 27 Juillet 2021.Décidés à nous alléger , nous renonçons à la voile. Nous ferons tout le trajet à la godille. Après tout, aller et retour jusqu'à Mayenne, nous n'avons à faire que 156 kms. Pourquoi pas ?
Le plus dur était la mise à l'eau mais au bout du compte, nous avons réussi.




Et le 28 Juillet, toc, toc à la godille nous entamons notre épopée. Je ne m'inquiète pas, comme capitaine, j'ai un scout marin.




Vent dans le dos, le bateau se dandine joyeusement et la rivière déroule ses curiosités.




Nous avons passé déjà au moins 6 ou 7 écluses. Mais celle-ci est particulière. Nous éclusons par nos propres moyens car il est déjà tard. Quelle émotion ! Le capitaine reste sur le bateau,car dans un pareil moment, surtout en montant, quand les cataractes se déverseront dans le sas, il doit rester à bord pour veiller au grain et c'est au mousse que revient l'honneur d'appuyer sur les boutons. Ce n'est pas trop difficile, l'écluse est électrifiée. Où camper ? Mais ici même. Nous disposons de tout, ponton, carré d'herbe pour la tente et même demain quand l'éclusière sera arrivée, nous aurons de l'eau et des toilettes.


C'est le jour de mon anniversaire. Il est clair que nous faisons un festin. Pour notre deuxième étape, nous pensons atteindre Laval. Mais encore, fraudra-il bivouaquer mais pas en pleine ville quand même. En attendant, comme il est mignon notre bateau prêt à partir. Comme la rivière est accueillante ....




Et nous cheminons, clic, clic.


Le long de la rivière, de superbes demeures sont perchées sur les coteaux. Et aussi d'anciens moulins abandonnés.


Pour pique niquer, fastoche. Le capitaine veille à tout,et des bancs ont été prévus par ce département qui gagne à être connu quoiqu'il ne soit ni en Bretagne, ni en Normandie, ni en lAnjou mais juste à la limite des trois.




Mais le grand moment approche. Nous devons traverser Laval et surtout ne pas nous laisser stopper au milieu entre deux écluses car comment pourrions nous dormir ?


La première écluse est à l'Avesnière. Un être humain s'en occupe et nous avertit à propos de la suivante : elle est automatique. Sommes-nous au courant ? Jippy ne lui laisse pas finir sa phrase. Il sait tout. Nous perdons un peu de temps pour nous ravitailler aux commerces soi-disant ouverts. En fait, tout est fermé sauf -merci l'immigration- une épicerie tenue par un Arabe. Et puis, toc, toc, nous reprenons notre randonnée.




Passer au centre d'une ville en bateau est une expérience étonnante:pas de périph, pas de banlieue, droit au cœur des choses. Mais les écluses ?
L'écluse automatique a été pour moi une terrible expérience. Imaginez notre frêle esquif, un feu rouge, une porte énorme, personne à proximité. Le feu devient vert, je vais à terre pour parer au grain, la porte s'ouvre, des jets d'eau se mettent à jaillir sur la place de la ville, Jippy hésite mais il faut y aller. Il entre, la porte se referme et la cataracte jaillit. Puis, l'autre porte s'ouvre et il faut s’enfuir.C'est fait. Il faut encore passer sous le Pont de l'Europe tellement bas que nous affalons l'aviron de secours. Et, toc, toc, nous dandinons à la hâte vers la Belle Poule, suite et fin de Laval.
J'ai faim et j'impose un bivouac dans un espace vert à la sortie de la ville.


Et rien du tout pour ancrer le bateau. Il a trouvé quand même sa cachette et nous buvons notre soupe et notre vin rouge sur un banc tout en contemplant le spectacle des habitants de Laval qui font leur sport ou promènent leur chien. Le lendemain, Jippy m'en veut encore mais comme j'ai bien dormi ! Et la rivière déroule ses fastes, toc, toc. Les jardins passent, ceux qui sont somptueux et d'autres. Le bruit devient infernal car nous allons bientôt passer sous une autoroute. Les jardins et les sam'suffit qui les possèdent sont de plus en plus modestes. Quelle tristesse de penser à ces petites gens qui s'étaient construit un paradis et qui sont maintenant dans les hurlements des voitures. Cerise sur le gâteau, derrière le pont autoroutier, il y en a un autre : c'est la ligne de chemin de fer à grande vitesse.
Nous approchons sérieusement de Mayenne, but de notre voyage. Mais la rivière au Nord est plus compliquée qu'au Sud. Elle est plus étroite et surtout jalonnée de dizaines d'écluses qui sont restées manuelles. Souvent, nous devons écluser nous-mêmes. Le capitaine, droit comme un I sur notre bébé bateau surveille la manœuvre. Que c'est dur pour lui de me voir manier les ventelles et tout et tout. Il me hurle des ordres que je me fais un plaisir de ne pas écouter. Mais j'ai mes chagrins : j'ai affaire aux cyclistes qui s'amusent à m'aider.
Jippy a une consolation. A la sortie d'une écluse il découvre un morceau de tronc d'arbre qui pourrait endommager les précieux et centenaires ouvrages. Hardi donc, il faut le repêcher et le rendre hors d'état de nuire. Mais la souche est gorgée d'eau. Je suis encore sur le ponton. Tout seul, il la ceinture d'une corde et la traîne jusqu'au bord. Mais quand il faut la hisser au sec, nous n'y parvenons pas. Que faire ? J'arrête une horde de vieux qui randonnent sur leurs vélos électriques. Pour aider, ils sont enthousiastes. Imagination, technique, solidarité, la souche est mise hors de combat.
A force de tourner des manivelles, je perds un peu la tête. Encore une écluse ! En tout, il y en a 70. Je saute à terre et me jette sur les ventelles. J'aurais dû tourner la tête et voir que les portes amont sont encore ouvertes. Une grosse , l'éclusière titulaire mais qui s'occupait d'autre chose, surgit et jette à la débile que je suis un regard de mépris. Mon capitaine lui, n'est pas étonné. Il le savait. Ce que c'est que d'être née à Vesoul. Je lui fais remarquer que c'est facile de se tenir sur la passerelle du Titanic avec son gilet de sauvetage pour houspiller la chiourme. Je ne dis plus un mot. A l'écluse suivante, il a l'idée de descendre du bateau pour aider à préparer le sas !
Et toc et toc, encore une et encore une autre. A l'avant -dernière de la journée, nous sommes accueillis par le titulaire qui nous demande nos projets. « Nous ne prévoyons rien, dit Jippy, nous faisons tout à la godille, nous sommes des pros, nous avons traversé la Bretagne, etc...etc... » « Ce que j'en dis,c'est que plus haut, il y en a 6 qui se suivent et vous pourriez bien être obligés de vous écluser vous-mêmes si je ne préviens personne de votre arrivée »
Nous pourrions bien nous arrêter. Effectivement, la suivante est la bonne : Des jeunes filles font la manœuvre et tandis que le bateau monte au rythme des cataractes, apparaît dans toute sa gloire
une terrasse, des parasols des baraques à crêpes et barbes à papa et par-dessus le tout, La Guinguette. Aussitôt, nous prenons la décision de passer la nuit dans cet eldorado.




Il est très tôt, nous visitons un peu la région. Gardons notre appétit pour le dîner !


Quand nous repartons, nous avons déjà fait connaissance de l'éclusier des six prochaines écluses qui ne sont qu'à 500 mètres l'une de l'autre. L'éclusier nous a doublé sur son vélo qu'il chevauche sans les mains. Puis il nous attend assis en tailleur sur le volant des ventelles. Son job est plus qu'un travail d'été car , étudiant en langues appliquées (mais je ne connais que l'anglais, tant pis pour l'espagnol) il reste quatre mois sur la rivière. Et de courir d'une écluse à l'autre en écoutant avec philosophie les conseils (Je n'ai pas tout compris sans doute dans ma licence d'éclusier). Car à cause de son air primesautier, non seulement Jippy mais les cyclistes lui donnent des conseils. On s'arrêtera bien sûr à la cabane où il vend des produits locaux qui nous donnent force et plaisir.
Quand nous quittons notre nouvel ami, nous sommes un peu orphelins. Nous éclusons tous seuls une antiquité toute vermoulue qui fuit de partout et à la suivante arrive le nouvel éclusier . Il cherche à se faire pardonner son absence. Mais ce n'est pas sa faute, le téléphone ne passe pas. Il ne fait monter ou descendre qu'un ou deux bateaux par jour alors, comment rester perpétuellement en alerte ? Pour cause de covid ou de cherté des locations ou pour toute autre raison, le trafic est très réduit. Supposons que le département cesse d'entretenir la rivière ? Ce serait affreux pour tout le monde. Donc les pauvres éclusiers se mettent en quatre. Le garçon curieusement nous annonce qu'il nous accompagne jusqu'à deux écluses plus loin et qu'il sera en double à la dernière. Ce n'est bizarre que pour ceux qui ne connaissent pas Philippe, car c'est à Philippe en personne que le jeune éclusier nous confie. Et je reconnais que ce jeune homme est doué d'une grande intelligence de cœur car pendant tout le feuilleton que Philippe nous déroule, il regarde le vieux monsieur avec sympathie et sourit régulièrement en hochant la tête en signe d'approbation.
C'est que Philippe n'est pas n'importe qui. Depuis quinze ans, il veille sur ses écluses. Il est à 6 mois de la retraite et d'ici là, il ne veut pas nous laisser nous noyer. Quand il sera en retraite, il s'adonnera à sa passion, faire le pain. Car il est boulanger mais il a été licencié quand la chaîne de magasins qui l'employait à fermé. Justement, dans la maison de l'écluse où nous sommes était cuit il y a quelques années le meilleur pain de la région. Mais tout est abandonné maintenant. Il est bien sûr vacciné mais sa femme s'y refuse. Comment faire pour la convaincre ?
Je demande timidement si nous ne pourrions pas dormir ici. Alors, rien ne l'arrête dans son désir de nous être utile. Nous pouvons nous abriter sous le vieux hangar, les toilettes sont ouvertes (et quelle propreté) et demain, il nous fera monter vers Mayenne car il gère aussi l'écluse suivante.
Alors, nous jouissons du meilleur bivouac qu'il soit possible d'imaginer. Le calme et la solitude sont parfaits ; les pêcheurs sont sur l'autre rive, les vélos ont trouvé leur havre du soir. Le ciel pleure un peu mais ce sont des larmes de crocodile qui se tarissent aussitôt. Et puis, il nous reste du vin pour accompagner notre soupe.






Le seul inconvénient, c'est que le lendemain, nous ne devons pas traîner pour ne pas décevoir Philippe qui nous éclusera avant d'aller manger. Toc, toc, Postellec se dandine à vive allure. Bonjour les vaches, bonjour les belles falaises, bonjour tout ! Nous filons.
Et nous voici à Mayenne. Je vois enfin Mayenne. Pas de périph, pas de zone commerciale, pas de banlieue pour nous. Directement, nous stoppons sous le château.


Nous sommes le Dimanche premier août. Dimanche ! Que font les braves gens le Dimanche à midi ? Ils mangent au restaurant . Alors, pourquoi pas nous ? Comme il est improbable de voir Docteur Ferré et Madame se goinfrer dans un restaurant populaire. C'est tout le charme de ce genre de voyage. L'imprévu.
Mais ce n'est pas tout, il faut planter la tente. On sait que le camping est au bord de l'eau, au Gué St Léonard. Pourrons nous remonter jusque-là ? Car l'aménagement de la Mayenne ne dépasse pas la ville. Toc, toc Postellec se dandine prudemment. Nous abordons sur un talus avec des ronces.
Mais, marins d'eau douce que nous sommes. Ce n'est pas un problème. Vous le croyez vous ? On va prendre une douche et changer d'habits.
Deux nuits dans le camping de Mayenne ! Quelle aventure pour des résidents de la très courue station balnéaire de Carnac. A pied, nous allons muser dans la ville. Pour un peu, nous irions au cinéma. Petite bière, petit verre de vin rouge, le bar va fermer et cet énorme nuage qui se rapproche va-t-il crever ou glisser sans nous atteindre. Au pas de gymnastique, une goutte, deux gouttes, vite vite rentrons. Nous nous posons avec notre repas sur une table à l'abri d'un préau et le ciel déverse ses cataractes. Nous conversons avec un original qui rentre chez lui à Avignon en vélo. Il n'aime pas l'informatique. Il a juste des cartes et une boussole. Quand il ne sait pas par où passer, il demande tout simplement.
Le lendemain, nous sommes des touristes normaux. Nous visitons le château.




Que dire du retour. La météo est détestable mais à trop regarder la météo, on reste au bistrot. Et puis, nous n'avons pas le choix. La première journée n'est pas si mauvaise. Nous disons au-revoir à M. Philippe qui nous raconte de nouveau sa vie pleine de tourmentes. Comment il a été misérablement chassé du métier qu'il aimait par l'imbécillité des gestionnaires. Comment il a vendu sa première petite maison au bord de l'eau (mais le bord de l'eau en hiver, c'est quelquefois déprimant) pour une meilleure dans Mayenne. Comment dès demain des jeunes feront l'éclusage car il sera en vacances mais pas de problème sauf avec la fille d'une dame de mauvaise foi et du voisin de celle-ci qui voudrait le rendre responsable des dégâts causés par un attelage à une des écluses que la fille au demeurant écluse très mal mais le voisin est un faux témoin et lui Philippe n'est pas en charge de cette écluse.
Nous le remercions vivement car c'est une vraiment bonne personne. Nous retrouvons notre fantasque Mathieu qui n'éprouve aucune lassitude à tourner les roues des ventelles des portes, des portes et des ventelles et de recommencer 500mètres plus loin. Le courant est à peu près nul mais il est plus facile de descendre que de monter. Nous échappons aux cataractes. Nous faisons connaissance avec une famille qui roule avec trois enfants dont un bébé. A la guinguette, nous invitons Mathieu à prendre un pot. Il adore sa vie . N'importe quel travail lui plaît. Il aime juste la liberté. Sa grand-mère écrivain est comme lui et sa mère aussi, licenciée en philosophie.
Et nous plantons la tente. La pluie se déchaîne pendant la nuit et ne cesse pas au matin. Mais notre ennemi, c'est le vent. Quelquefois, Jippy seul peut avancer. Moi, je fais du sur place. Laval passe comme un rêve. Une écluse automatique n'est pas pour nous faire peur. Je reste sur le bateau car cette fois, nous faisons confiance à la technologie. Descendre est au demeurant moins impressionnant que monter, plus rapide aussi car les ventelles peuvent être ouvertes totalement . A l'une des écluses, un drame fut évité. Un tout petit poisson se trouva pris dans la porte amont.
Désespéré, il faisait des bonds, se reposait un peu, sautait de plus belle. La famille randonneuse était justement présente et les enfants regardaient. Oubliant toute la doxa des scouts marins, Jippy lâche la corde de sécurité, recule avec habileté et sauve le poisson. Dans l'écluse automatique, le frère du gamin poisson se fait attraper à son tour. Nous l'avons laissé là.
Dans les grands petits événements qui ne manquent pas d'arriver, les relations avec les pêcheurs sont un souci. Généralement, Jippy les voit et commence à leur raconter sa vie d'une voix à faire fuir les poissons les plus sourds. Mais nous n'avons pas eu de collision avec les lignes fatales sauf... Aujourd'hui, il faisait donc un temps détestable mais quand le vent se calmait, nous avancions bon train. J'étais à l'aviron quand un être ventru se met à hurler sur la rive. Apparemment, ses lignes étaient prises dans le Postellec. Il était à l'abri dans sa voiture quand notre bateau passait. Fort aimablement, je fais demi-tour, nous décrochons ses lignes et ce Monsieur sans remercier prend un air boudeur et surtout offensé. Par la suite, j'ai observé que les vrais pêcheurs pêchent. Ils ouvrent les yeux, surveillent leur matériel. Mais celui-là !
La personnalité des éclusiers a changé. Ce ne sont plus des gamins ou des gamines en job d'été. Les titulaires sont revenus et « ce n'est pas rien d'être éclusier ». Le premier après Laval était très maigre et chevelu. Il était content de nous voir car il croyait que notre technique de godille était un art Japonais. Le suivant nous aurait bien invités chez lui mais à son avis, nous aurions souffert du bruit et il nous indiqua une place qui serait parfaite avec une table et du gazon. Toc toc, vogue le Postellec, l'atmosphère du soir est propice au rêve. Toc, toc et soudain, surprise, nous sommes arrivés.


Le lendemain. Nous pensions que tout était perdu, plus de vin, plus de cigare. Mais un restaurant et un coin d'herbe au sec surgissent à l'improviste et même au restaurant, une prise électrique pour recharger le téléphone de Jippy. Dodo, Petit bateau.




Par crainte du vent, nous laissons l'aviron de secours le long du bateau au lieu de l'arborer fièrement comme un genre de mât. Hélas, le pauvre Postellec se fait traiter par tous ces habitants de l'intérieur de barque.


Nous sommes de nouveau à Chateau Gauthier. Une petite promenade dans la ville nous fait découvrir ce charmant jardin féodal.


Nous approchons de Menil. Encore des écluses . Le dernier éclusier me raconte son rêve de naviguer dans le Morbihan. Pourra-t-il le réaliser ?
Et puis, les marins d'eau douce que nous sommes sortent le bateau de l'eau et c'est la fin. Nous avons parcouru 156 kms et passé 70 écluses.
